dimanche 17 janvier 2016

Le paysan Liétart - Rougel le bœuf




Un prêtre de la croix en Brie,
U


ns prestres de la Croiz en Brie,
que Dieu lui prête longue vie
et le comble de tous ses désirs,
a mis son intelligence et toute son attention
à composer une nouvelle branche
de Renart, qui s'y connaît tant en ruse.
C'est un bon conteur, pour sûr,
il sait témoigner de l'authenticité d'une histoire,
ainsi que je l'ai entendu raconter celle-ci,
il surpasse tous les conteurs
d'ici jusqu'aux Pouilles,
qu'on se le dise.
C'est pour cela qu'on doit encore plus croire
que l'histoire qu'il nous raconte est vraie.
C'est arrivé il y a fort longtemps,
si le livre ne nous ment pas,
mais nous raconte la vérité.
Un paysan, qui a beaucoup de biens,
un nanti aussi économe qu'avare,
plus riche encore que Constant des Noues
déjà considéré comme très aisé,
attelle ses bœufs de bon matin,
dans son nouvel essart près d'un grand bois,
pour la grande récolte qui s'annonce.
Il se dit qu'il est arrivé
bien tard dans son essart,
alors qu'il ne fait encore guère jour.
La tranquillité, le confort, le repos,
ou les distractions n'intéressent pas le paysan,
pas plus qu'il n'aime rester au lit.
Dès qu'il voit le jour apparaître,
plutôt que de prendre ses aises,
il préfère se mettre à l'ouvrage,
car un paysan peut endurer beaucoup.
Ce paysan, dont je me permets
de vous conter l'incroyable aventure,
a une charrue avec sept bœufs.
On ne connaît pas dans les parages,
de meilleurs bœufs que les siens,
et il y en a un, meilleur que tous les autres,
qui s'appelle Rougel.
Mais, il l'a tant forcé
à épandre partout son fumier,
et à le faire trimer en toute saison,
qu'il avance maintenant d'un pas lent,
car il est devenu maigre et fatigué
après tant de labeurs.
Le paysan, cruel et violent,
le trouve trop lent,
alors il le pique, et lui dit en colère :
« Rougel, vous êtes trop lent.
Je me suis souvent opposé, pour vous,
à mes voisins qui vous considèrent avec mépris.
Ils me disent
que si j'étais en manque d'argent,
je n'obtiendrais même pas
vingt-deux sous de seigneur Durant contre vous.
Et je leur ai toujours répondu,
c'est la vérité, honte à moi si je mens,
que je n'en accepterais pas trente,
ni même trente-cinq au marché.
Mais, on dirait que vous avez le cou plus chargé
qu'aucun des sept autres dans cet attelage.
Vous n'avez encore guère tiré,
pourtant, vous êtes déjà fatigué du matin.
Avant même que la journée soit terminée,
je souhaite que le méchant loup vous dévore,
car vous me retardez
à chaque sillon de terre qu'on laboure.
À cause de vous, je vais devoir chercher
un autre bœuf à la foire de mai.
Que Dieu m'évite les ennuis !
Je préférerais qu'un ours ou un loup
vous fasse la peau
sans plus tarder,
car je n'ai plus grand-chose à tirer de vous,
vous portez la tête bien trop basse.
Que le méchant loup vous attaque aujourd'hui même ! »
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Qui Diex puist doner bone vie
Et ce que plus li atalente,
A mis son penser et s'entente
A fere une novele branche
De Renart qui tant set de guenche.
Uns bons conterres, c'est la vraie,
L'estoire nos tesmoingne a vraie
— Car i l'oï conter el conte —
Qui touz les conteors sormonte
Qui soient de ci jusque en Puille,
Mes que chascun oïr le voille.
Et por ce la doit on miex croire
Qu'il tesmoingne l'estoire a voire.
 Il avint ancïennement,
Se l'escripture ne nos ment
Qui aferme le conte a voir,
C'un vilain qui mout ot d'avoir,
Tenans, esparnables et chiches
Plus que Costant des Noes riches
C'on tenoit a riche et a plain,
En son novel essart bien main
Pres d'un grant bois ses bues lia
Por le grant gaaing qu'il i a.
Mes vis li est que il soit tart
Venuz a tant en son essart,
Si n'ert encor gueres de jor.
Mes repos, aise ne sejor
Ne deduit a vilain ne plest.
N'a cure qu'en son lit arest ;
Puis qu'il voit le jor aparoir,
Ne puet vilain nule aise avoir,
Ainz velt aler s'ovraingne fere,
Qar mout par puet vilain mal trere.
 Cil vilains dont je vos conmanz
A conter merveilleus romanz
.VIII. bues en sa charrue avoit,
En la contree on ne savoit
Meillors bues qu'estoient li suen,
Mes sor touz en i ot .I. buen
Qui estoit apelez Rougieus.
Mes tant l'avoit par les fors lieus
A son fiens trere demené,
Et toutes les saisons pené,
Que lentement aloit le pas,
Por ce que megres ert et las
De granz travax, et auques megres.
Li vilains qui fu fel et aigres,
Por ce que trop le sent a lent
Le point et dit par mautalent :
« Rougieus, trop estes alenti.
Por vos ai sovent desmenti
Mes voisins qui vos despisoient
Et por ce que il me disoient
Que je n'aroie pas de vos,
Tant fusse d'argent soufroitous,
.XXII. sols de dant Durant.
Et je disoie vraiement
Por verité, que je n'en mente,
Que je n'en prandroie pas .XXX.,
Non voir .XXXV. au marchié.
Or avez plus le col charchié
Des lïens que n'a nus des .VII.,
Si n'avez encor gueres tret ;
Trop matin estes ja lassez.
Ainz que cist jors soit trespassez,
Vos puissent mal leus devorer,
Qar trop me fetes demorer
A arer .I. seillon de terre.
En lieu de vos me covient querre
.I. buef a la foire de mai.
Se Diex me desfende d'anoi,
Je vodroie que ors ou lous
Vos eussent osté a rebors
Cel peliçon sanz demorance,
Que poi pris mes vostre puissance.
Trop portez or basse la chierre.
Max leus hui cest jor vos requiere ! »
L'ours, Renart et le paysan Liétart C'est de l'ours et du Renard et du villain Lietard (28)
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