dimanche 31 janvier 2016

Le paysan Liétart - Le plan de Brun




Brun l'ours, qui est près d'ici,
C


e c'ot dit li vilains engrés
a parfaitement entendu
tout ce que le paysan en colère a raconté.
Il passe alors, sa tête et ses pattes de devant
à travers un buisson,
sans se préoccuper d'où vient le vent,
car il n'y a aucun chien pour le surprendre ici.
Il s'est caché dans le buisson
pour mieux entendre,
car il n'aurait voulu manquer ça
pour rien au monde.
Il se réjouit de la promesse du paysan,
et se dit tout bas à lui-même :
« Cette fois, j'ai de la chance !
Dieu merci, je vais avoir de la nourriture
sans aucun doute.
Il n'y a pas à hésiter,
je ne risque rien,
et je sais déjà où
je vais emporter ma proie.
J'aurai Rougel le bœuf de seigneur Liétart
pour moi tout seul.
Il me le doit bien,
car il m'a souvent fait pourchasser
par son chien,
qui m'a mordu la peau deux ou trois fois.
Je vais lui faire payer cher aujourd'hui même,
grâce à la chair tendre et grasse de son bœuf,
bien entretenu
et rassasié d'avoine,
dont je vais me lécher les babines,
que cela lui plaise ou non.
Le paysan doit comprendre maintenant
que je veux avoir mon bœuf,
car je prends sa promesse pour garantie.
Je n'en ferai pas d'autre usage,
car j'aime la viande plus qu'il ne le croit.
Et s'il veut m'en empêcher,
il peut être sûr
qu'il devra alors batailler dur.
Ce sale paysan n'obtiendra jamais
ni paix ni trêve de moi,
je lui ferai la guerre sans relâche,
en le poursuivant dans les champs,
ou, pour son malheur, dans les bois,
là où je suis le plus en sécurité.
Ma colère envers lui sera terrible,
s'il me refuse Rougel le bœuf. »
Brun l'ours le dit pour de vrai,
il l'affirme avec force,
et s'imagine déjà menaçant le paysan,
s'il se mettait en travers de son chemin :
« Je lui donnerai un tel coup de ma patte
large, forte et charnue,
sur le cou, sur la poitrine, ou dans la figure,
que je le démolirai sur place.
Mais, je dis des bêtises,
car je suis tout à fait sûr
qu'il ne fera aucune difficulté,
pour me laisser Rougel, mon bœuf,
ainsi qu'il l'a promis.
Je l'ai entendu dire plusieurs fois,
et affirmer comme une vérité.
Je l'aiderai à tenir sa parole,
il n'a aucun moyen de m'en priver,
il ne peut rien y faire.
Je l'aurai, qu'il le veuille ou non,
et je ne lui en serai même pas gré. »
Ainsi, se parle Brun l'ours à lui-même,
tandis qu'il est tiraillé
par la faim qui le fait tant souffrir.
Mais, il se sent réconforté,
maintenant qu'il a l'espoir
d'obtenir Rougel, à n'en point douter.
Il bondit alors du buisson,
et se met à courir sauvagement,
en poussant un cri de joie.
Il n'a pas peur d'être vu,
car il n'y a personne aux alentours
à part Liétart,
et un de ses valets
s'évertuant à faire avancer les bœufs.
Celui-ci n'est pas une bonne affaire,
il ne vaut pas un clou,
mais il l'a loué pour la saison.


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Brun li ors qui d'ilec fu pres
Ot tout oï et escouté.
En .I. buisson avoit bouté
Son col et ses pates devant.
N'avoit mie peor de vant,
Que nul chien ne le peüst prandre.
Por miex escouter et entendre
S'estoit il el buisson repost.
Ne vosist por .XXV. sols
Que le vilain n'eüst oï.
De la pramesse s'esjoï,
A soi a dit tout en recoi :
« Bien m'est avenu ceste foi.
Or avré je, Diex merci, proie
Sanz nule faille a ceste voie.
N'irai ore pas delaiant.
J'ai aventure por noient.
Or sai ge bien ou chargerai
La proie que j'en porterai.
.I. buef avré seul a ma part,
Rogieus qui fu seignor Lietart.
Or li guerredonneré bien,
Que sovent m'a fet a son chien
Sievre et chacier outre mon pois,
Mordre ma pel .II. foiz ou .III. ;
Encui li voudré je chier vendre.
De la char qui est crasse et tendre,
Qui a esté mout bien gardee
Et d'avaine rasazïee,
Feré en cui mes guernons bruire
Qui que doie grever ne nuire.
Or puet bien li vilain savoir
Que je voudré mon buef avoir,
Qar je tieng pramesse a chatel.
N'en feré mes autre jornel,
Que miex aim la char qu'il ne pense.
Et s'il i velt metre desfense
Et arest, savoir puet sanz faille
Senpres avra dure bataille.
Ja mes n'avra envers moi pes
Ne trives li vilain pugnés,
Ainz le guerroierai tout tens,
S'aconsievre le puis as chans
Ou el bois par son mal eür
Ou ge seré plus asseür.
Qar ire avré envers lui grant,
Se Rougielle buef me desfent. »
Einssi dist Bruns li ors por voir
Et aferme par son savoir.
Le vilain mout forment menace
Que se il le trove en la place,
« Tel coup li donré de ma pate
Que j'ai fort et charnue et plate
En col ou en pis ou en face
Que je l'abatrai en la place.
Mes c'est folie que je di,
Qar je sai bien trestout de fi
Que ja n'i metra nul arest
Que Rougiel mon buef ne me laist
Si con il le m'a covenant.
Je l'ai oï loer sovent
Et afermer por veritable ;
Bien feré la parole estable :
Nule riens tolir nel me puet,
Grant chose a en fere l'estuet.
Ou voille ou non, je l'averé,
Ja espoir gré ne l'en savré. »
 Einssi parole a lui tot seuls
Brun li ors qui ert angoisseus.
De fain estoit toz amortez,
Mes auques est reconfortez
Por ce qu'il ert en esperance
De Rougiel avoir sans dotance.
Lors sailli du buisson li ors,
Mout fierement aqueurt son cors,
Si a jeté .I. brait de joie.
N'a pas peor que l'en le voie,
Qu'il n'avoit pres de nule part
Nului fors seulement Lietart
Et .I. garçon qui a lui fu
Qui les bues chaçoit de vertu.
Il estoit de si povre afere
Nel prisoit pas une cenele,
Aloué l'avoit la saison.
L'ours, Renart et le paysan Liétart C'est de l'ours et du Renard et du villain Lietard (28)
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