lundi 7 juillet 2014

La confession de Renart - La prière du soir




Là-dessus, il va se coucher
A


tant s'estoit alez gesir,
car il a envie de dormir.
Il se recommande alors aux douze apôtres,
et dit sept Notre Père :
« Que Dieu protège tous les voleurs,
tous les traîtres et tous les félons,
tous les sans foi ni loi,
tous les autres bons pécheurs
qui préfèrent les bons morceaux
aux cottes et aux manteaux,
et tous ceux qui vivent de ruse,
et prennent tout ce qu'ils désirent.
Mais aux moines et aux abbés,
aux prêtres tonsurés,
et aux ermites des bois,
qui pourtant ne font de mal à personne,
je prie Dieu de leur causer des tourments tels
que je le vois de mes propres yeux. »
Puis, Renart, cet enragé,
lui qui a trompé tant de personnes, ajoute :
« L'homme qui fait le bien, ne mérite pas de vivre.
Mais celui qui s'enivre toute la journée,
celui qui vole, celui qui soutire,
celui qui emprunte et ne paye jamais rien,
celui-là ne devrait jamais mourir.
Dieu, puissiez-vous m'entendre,
et faire que ce monde-là ne disparaisse jamais :
ce serait un péché de les détruire. »
C'est là la prière de Renart,
ce traître de sale engeance.
Et soyez certain
qu'il sait parfaitement
que si Dieu se mettait à aider les mauvais,
alors il serait sauvé.
Il n'y a jamais eu plus voleur que lui
depuis que Jésus est né.
Sur ce, le renégat s'étire,
met sa queue entre les pattes,
et s'endort aussitôt
car sa litière est bien moelleuse.
Il se réveille au petit matin
et se dit en peu de mots ce qu'il va faire :
« Je vais me lever et partir en chasse.
Seigneur Gombert a une oie grasse
qu'il a nourrie sans compter.
Il croit bien se la faire servir,
et se voit déjà la manger à Noël.
Mais si je peux agir habilement,
il ne la verra même pas cuire,
car je m'en délecterai les babines
aujourd'hui même, sans tarder,
et je saurai ce qu'elle a dans la panse.
Malheur à celui qui a ordonné
qu'un paysan puisse manger de l'oie !
Car le paysan doit vivre de chardons,
quant à moi et ces autres barons,
nous devrons manger de cette bonne nourriture,
que nous apprécions volontiers. »
Renart n'en finit pas de parler ainsi,
mais il y a eu pendant la nuit une crue telle
que les eaux ont bien gonflé,
et sont arrivées jusqu'à la meule.
Quand il voit l'eau écumer,
et la meule de foin s'enfoncer,
il commence à se demander
comment il pourra s'échapper de là,
car s'il reste sur le foin,
il sait bien qu'il mourra de faim.
Alors qu'il se lamente,
voici un milan en plein vol,
qui cherche à se poser par là
car il est las de voler,
et se dirige vers la meule.
Renart le voit et s'adresse à lui :
« Seigneur, fait-il, vous êtes le bienvenu !
Asseyez-vous ici à côté de moi,
auprès de cette pauvre créature
qui est en si grand péril,
et craint tellement de mourir.
Seigneur, puissiez-vous venir
comme un ami ou un confident.
Dieu fait là un beau miracle
en me secourant grâce à vous.
Soyez le très bienvenu
puisqu'il vous envoie à moi,
je serai donc confessé, si vous le voulez. »
Quand le milan le voit pleurer,
il s'installe à côté de lui,
et commence un sermon
pour réconforter le brigand.
« Renart, lui dit seigneur Hubert,
au nom du temple où Dieu fut présenté,
les clercs et les prêtres sont tous fous.
Qu'il déplaise à Dieu de me laisser voler
de cette meule vers la terre sèche,
si un homme qui ne pèche point vaut davantage.
Car celui qui fait beaucoup de mal,
le parjure, le déloyal,
le sodomite ou l'hérétique,
celui-là est quitte des peines de l'enfer. »


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Qu'il avoit talent de dormir ;
Puis se conmande a .XII. apostres
Et a dit .XII. paternostres :
« Que Diex garisse touz larrons,
Touz traïtres et touz felons,
Touz felons et toz traïtors,
Et touz autres bons pecheors
Qui miex ainment les bons morsiax
Qu'il ne font cotes ne mantiax,
Et touz ceus qui de barat vivent
Et pranent tot quant qu'il consievent.
Mes as moines et as abez
Et as provoires coronnez
Et as hermites de boscage,
Dont il ne seroit nul donmage,
Pri ge que Diex lor doint torment
Si que jel voie apertement. »
Ce dit Renart li forcenez
Qui tant honmes a engingniez :
« Hons qui bien fet, il ne doit vivre.
Mes cil qui tote jor s'enyvre
Et cil qui emble et cil qui tout
Et qui enprunte et rien ne sot,
Ja cele gent ne puist morir.
Et Diex, vos m'en puissiez oïr,
Que ja itel siecle ne muire :
Que pechié seroit del destruire. »
 Ce fu la prïere Renart
Au traïtor de pute part.
Or sachiez bien certainement
Que il le savoit vraiement
Que se Diex aïdoit as maux,
Que adonques seroit il saux ;
Onc plus lerres de li ne fu
Puis cele heure que Diex nez fu.
A tant s'estent li renoiez,
Et mist sa queue entre ses piez ;
Tout maintenant est endormiz,
Qar mout estoit soef li liz.
 Au matinet quant se leva
.I. mot dit que fere cuida :
« Leveré moi, s'irai en proie.
Dant Gonbert a une crasse oie
Que il a fait en franc norrir ;
Bien se cuide fere servir,
A Noel la cuide mengier.
Mes se je puis tant esploitier,
Il ne la verra neïs cuire,
Qar j'en feré mes grenons bruire ;
Hui en cest jor sanz demorance
Savré je qu'ele a en la pance.
Mal dahez ait qui conmanda
C'onques vilain d'oue menja !
Vilain doit vivre de chardons
Et moi et ces autres barons
Devon mengier ces bons mengiers,
Qar nos les menjons volentiers. »
Renart d'ainsi parler ne fine,
Mes la nuit ot fet tel cretine
Que les eves furent creües
Tant que au mulon sont venues.
Quant il vit l'eve blanchoier
Et le mulon de fain plungier,
Si se conmence a dementer
Con d'ilec porra eschaper ;
Qar s'il remaint desus le fain,
Bien set que il morra de fin.
 Que que il s'aloit dementant,
Es vos .I. escoufle volant
Qui illuec se va reposer,
Por ce qu'il est las du voler ;
Vers le mulon s'est adreciez.
Renart le vit, si s'est dreciez :
« Sire, fet il, bien veigniez vos !
Seez vos ci dejoste nos,
Lez ceste lasse criature
Qui si est en grant aventure
Et en tel crieme de morir.
Sire, bien puissiez vos venir
Conme mes amis et mes druz,
Or m'a fet Diex beles vertuz,
Quant par vos m'a si secoruz ;
Vos soiez li tres bien venuz,
Quant a moi vos a amenez ;
Or serai confés, se volez. »
Li escoufles le vit plorer,
Lez lui est alez demorer,
Si li conmença .I. sarmon
Por reconforter le gloton.
« Renart, ce a dit danz Hubers,
 Par le temple ou Diex fu ofers,
Clerc et provoire sont tuit fol.
Ja Diex ne place que je vol
De cest mulon a terre seche,
Se hons valt gueres qui ne peche.
Mes cil qui assez ont fet mal,
Li parjure, li desloial,
Li sodomite et li herites,
Cil sont des painnes d'enfer quites. »
Comment Renart voulu manger son confesseur Si conme Renart volt mangier son confessor (24)
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